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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


peut servir un solliciteur. Mais, vainqueur maintenant, chef effectif du service des Renseignements et maître des secrets de Boisdeffre et de Gonse, il n’a apparemment qu’un mot à dire pour que la requête de son ami soit entendue. Faire entrer Esterhazy à L’État-Major ne saurait être plus difficile que d’en faire partir Picquart. Et comment s’y refuserait-il ?

Cette exigence d’Esterhazy parut à Henry le comble de la folie. Quoi ! il ne suffit pas à Esterhazy d’avoir été sauvé par lui, et au prix de quels dangers ! Billot, s’il a été dupe de la fausse lettre Panizzardi, n’en tient pas moins Esterhazy pour un forban. Et Henry viendrait l’appuyer de son influence, attirant sur soi de redoutables soupçons ! Même Boisdeffre, auréolé de l’alliance russe, au comble de la faveur, ne l’oserait pas !

Henry, cependant, ne repoussa point la demande d’Esterhazy, parce qu’il avait peur de lui, et il lui promit d’agir sur Boisdeffre, qui déciderait Billot. Mais il n’en fit rien ou, sans doute, mieux encore, appela l’attention de Boisdeffre et de Gonse sur le danger qu’il y aurait, non pas même à introduire Esterhazy au ministère, mais à le recommander à Billot et à risquer un irrémédiable éclat. Que ferait Picquart s’il en était informé ?

Esterhazy, d’autre part, n’était pas homme à se laisser berner. Ayant eu l’audace d’aller voir, au ministère, Thévenet, l’un des officiers d’ordonnance de Billot, il fut reçu « fraîchement », et en coup de vent ». Il en fut ulcéré : « S’il arrive un jour à ces gens-là tout ce que je leur souhaite. Dieu leur réserve plus tard quelques moments désagréables » ; et il appelle de tous ses vœux « une bonne révolution sanglante, qui mènera au césarisme[1] ». Puis, s’étant informé, il ne fut pas

  1. Lettre du 17 janvier 1897 à Grenier.