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SCHEURER-KESTNER


long à deviner le double jeu d’Henry, lui promettant son concours, mais le desservant ou se terrant ; et, parce qu’il était incapable de toute contrainte, il ne se contenta pas de le menacer directement de sa colère, mais il le dénonça à ses amis comme l’un de ceux qui l’empêchaient, méchamment, d’obtenir satisfaction. Il se plaignit, notamment, au fils de son ancien chef, Gaston Grenier, qui lui portait encore intérêt ; ayant rencontré Henry, Grenier lui fit des reproches ; Henry protesta vivement, affirma que, bien au contraire, il aidait Esterhazy « de tout son pouvoir », promit qu’il l’aiderait encore « de tout cœur » et pria instamment Grenier de le lui répéter[1]. Grenier, le soir même, répéta les propos à Esterhazy, l’accusant « d’avoir l’esprit chagrin » et d’avoir méconnu l’amitié d’Henry. « Eh bien ! il ne manquerait plus que cela, par exemple, qu’Henry ne fût pas gentil pour moi[2] » !

Mais Henry continua à n’être « gentil » qu’en paroles et, quand Billot, hésitant toujours à dire à ses solliciteurs le fond de sa pensée, allégua, pour expliquer son refus obstiné, que leur client était criblé de dettes, avait une maîtresse et menait une vie de débauches, Esterhazy éclata en cris de rage contre l’ami qui, certainement, avait suggéré une telle réponse :

 J’ai tout lieu de supposer, écrit-il à Jules Roche, que cette ordure émane du service des Renseignements. Ce service, qui devrait renseigner sur ce qui se passe en Allemagne et qui laisse dépenser 200 millions par l’ennemi sans en trouver l’emploi, a, parmi ses hauts chefs, un chef
  1. Cass., I, 714; Rennes, II, 9, Gaston Grenier.
  2. Ibid. — Roget (Cass., I, 107) feint d’ignorer les rapports d’Esterhazy et d’Henry : « Si Esterhazy avait connu soit Du Paty, soit Henry, il n’aurait pas manqué de les intéresser à ses démarches. »


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