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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Le mois suivant, il envoya à sa cousine le premier dividende, 103 francs.

Ainsi mis en goût, son appétit redoubla. Ayant fait venir Christian à Paris, pour quelques jours, il n’eut pas de peine à s’emparer entièrement de lui[1]. Le premier, il lui fit visite, le traitant, malgré la différence d’âge, en égal, et, chaque matin, il le venait prendre à son hôtel et le promenait, au Cercle militaire, à la Bourse, dans les théâtres, l’étourdissant de son ramage et ne tarissant pas sur l’affaire Rothschild, la plus belle du monde, aubaine exceptionnelle où sa mère avait bien tort de n’avoir mis que cinq mille francs (pourquoi pas cent sous ?), et dont c’était folie de ne pas profiter. À la Bourse, devant Christian, ahuri du bruit qui remplit ce temple de la Fortune, il causait familièrement avec les financiers, leur donnait (ou feignait de leur donner) des ordres, car il spéculait à coup sûr, renseigné, « tuyauté », par son grand ami. Mais cela, il ne le confiait qu’à Christian[2].

Le bon jeune homme, à son retour à Beautiran, vanta à sa mère la bonté et le prestige de son admirable parent. Il venait d’atteindre sa majorité, obtint une avance d’hoirie qu’il expédia aussitôt à Esterhazy[3]. « Ce

    des mensonges infâmes… etc. » (Cass., II, 242). Le 6 novembre 1899, la neuvième chambre correctionnelle le condamna, par défaut, à trois ans de prison et à la restitution des 33.500 francs qu’il avait escroqués à Christian. Il fut établi, au cours du procès, qu’Esterhazy n’avait jamais eu aucun rapport d’affaires avec la maison Rothschild ; il n’en reçut, à plusieurs reprises, que des aumônes, inscrites, régulièrement, au compte « Pauvres ».

  1. Janvier-février 1897.
  2. Mémoire, 54, 55.
  3. Le reçu de cette somme (exactement 16.500 francs) est daté du 25 février 1897 : 15.000 francs pour l’affaire Rothschild ; 1.500 à faire valoir dans une petite spéculation.