Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
525
SCHEURER-KESTNER


« maître de l’affaire ». Cependant, il tient un secret d’État. Et une double responsabilité pèse sur lui : envers Picquart, envers Dreyfus. La pensée de l’innocent l’obsédait. « Et Dreyfus ? » avait-il vivement répondu aux arguments dilatoires de Picquart. Il se fortifiait dans son système : sauver l’un par l’autre. Mais comment passer de la théorie à la pratique ?

La consigne de Picquart lui interdisait de se concerter avec son confrère Demange[1]. Il songea à demander audience au Président de la République, au président du Conseil, au garde des Sceaux.

Sur ces entrefaites, il dîna, à Ville-d’Avray, avec les membres du Comité Alsacien-Lorrain qui avait élevé, aux Jardies, le monument de Gambetta[2]. Il y fut présenté à Scheurer-Kestner, qui avait été autrefois, à Strasbourg, l’élève de son père. Scheurer, toujours hanté par la pensée de Dreyfus, parla de ses doutes. Leblois l’écouta, ne dit pas un mot. Quelques jours après, il aborda la question avec Risler, le maire du VIIe arrondissement, dont il était l’adjoint. Risler, neveu de Scheurer, lui confirma les préoccupations de son oncle. Leblois se décida : « Menez-moi chez lui. » Le premier vice-président du Sénat n’est-il pas l’intermédiaire désigné pour porter au Gouvernement de la République un avis utile[3] ?

L’entrevue eut lieu le 13 juillet. Leblois demanda

  1. Procès Zola, I, 384, Demange : « J’ai reproché à Leblois de n’être pas entré en relations avec moi ; je lui ai dit que nous aurions pu alors nous adresser au ministre de la Justice. »
  2. Procès Zola, I, 92, Leblois ; Instr. Fabre, 112, Scheurer.
  3. Instr. Fabre, 138, 181, 195, 200, Leblois ; 176, Picquart : « Je ne connaissais pas M. Scheurer-Kestner et j’avais laissé à Me Leblois toute liberté d’action… J’approuve ce qu’il a fait. » De même, Procès Zola, I, 290 : « Il a agi comme bon lui semblait, et je l’approuve. »