Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
658
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


présence d’Henry, la fait voir à Du Paty. Henry, « d’un air ingénu », demande quel peut bien être ce terrifique document dont Esterhazy ose menacer Félix Faure. Du Paty s’étonne de la question : « Du moment, dit-il, où il est question de la canaillerie de Dreyfus, il ne peut s’agir que de la pièce : Ce canaille de D… » — Il n’en connaissait pas d’autre qui pût s’appliquer au Juif ; c’est pourquoi Henry, faisant la bête, avait voulu que Du Paty lui-même, devant Gonse, désignât la pièce secrète. — Et Du Paty, bel esprit, se tournant vers le rustre :


En vous voyant sous l’habit militaire,
J’ai deviné que vous étiez soldat.


Henry ne bronche pas, mais « d’un air de plus en plus ingénu » : « En quoi, demande-t-il, cette pièce prouve-t-elle la culpabilité de Dreyfus ? » — En effet, elle ne la prouvait nullement. — « Mais vous le savez bien, farceur, réplique familièrement le marquis, puisque c’est vous, en 1894, qui avez été chargé de constituer le petit dossier. »

Observation topique, qui cloua, selon Du Paty, la bouche à Henry et qui donna à Gonse « l’idée de vérifier le petit dossier ». Il le tira de son coffre-fort, où il était enfermé dans une enveloppe close qui portait au dos la signature d’Henry. Il en vérifia le contenu : un bordereau énumératif des pièces incluses, écrit et signé par Henry ; une partie des pièces du dossier secret ; enfin, des photographies, inconnues de Du Paty, qu’il compta : « Votre compte y est », dit-il à Henry[1].

    ment exprimé par Henry dans cette circonstance qui a fait qu’il s’est souvenu du fait pour me le révéler quand j’ai fait mon enquête. »

  1. Instr. Tavernier, 17 juin 1899, Du Paty. — Plus tard, Henry dira à Billot qu’on n’en connaissait pas le compte, Est-ce