Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/127

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L’irréligion par ignorance est un état de rudesse et de barbarie intérieure. L’esprit qu’aucune croyance, aucune foi n’a plié et amolli, reste sauvage et incapable d’une certaine culture et d’un certain ensemencement. Mais l’incrédulité dogmatique est un état d’irritation et d’exaltation ; elle nous met en guerre perpétuelle avec nous-mêmes, notre éducation, nos habitudes, nos premières opinions ; avec les autres, nos pères, nos frères, nos voisins, nos anciens maîtres ; avec l’ordre public, que nous regardons comme un désordre ; avec le temps présent, que nous croyons moins éclairé qu’il ne doit l’être ; avec le temps passé, dont nous méprisons l’ignorance et la simplicité. L’avenir et le genre humain dans son éternité future, voilà les deux idoles et les seules idoles de l’incrédulité systématique.

La différence est grande d’accepter pour idoles Mahomet ou Luther, ou de ramper aux pieds de J-J Rousseau et de Voltaire. On crut du moins n’obéir qu’à Dieu, en suivant Mahomet, qu’aux écritures, en écoutant Luther.