Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/19

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s’étaient empressees d’accueillir un jeune homme qui alliait à la candeur de l’âge un esprit déjà plein de culture et d’urbanité. Montiguac, il faut bien l’avouer, ne lui offrait pas les mêmes ressources. Sans doute son cœur éprouvait de douces joies près d’une mère qu’il chérissait ; mais il fallait à son esprit des aliments qui devenaient de jour en jour plus rares. Il n’avait pas tardé a s’apercevoir que les interlocuteurs manquaient aux entretiens littéraires ; les petites bibliothèques du lieu s’étaient promptement épuisées sous ses mains, et, aux regrets de la vie qu’il venait de quitter, se mêlait une ambition dont nous avons tous été agités, nous qui avons passé notre jeunesse dans la province, l’ambition de connaître Paris. Là, en effet, le domaine des lettres s’était fort agrandi. Ce n’était plus la terre écartée où quelques hommes timides venaient laborieusement tracer leur sillon, se croyant assez honorés quand un regard tombant d’en haut daignait encourager leur effort, et ne songeant guère à confondre les choses de l’esprit avec celles du pouvoir. La littérature avait fait irruption dans le sanctuaire et dans les conseils ; elle régnait dans les salons, et la société tout entière s’abandonnait avec sécurité à un progrès qui semblait n’être que l’avènement de l’intelligence, tant il était empreint encore d’atticisme et de sérénité. M. Joubert aspirait impatiemment, non pas sans doute à prendre sa part du triomphe, il y avait en lui trop de modestie et de retenue, mais à connaître les écrivains qui exercaient tant d’influence sur son pays, à écouter de près ces bruits, ces conversations des salons dont il n’avait entendu jusque-là que le retentissement lointain.