Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Comme toutes les provinces où s’était maintenue l’inégalité des partages, le Périgord avait l’antique coutume d’envoyer une partie de ses fils chercher fortune au dehors. Les emplois dans l’armée, les bénéfices ecclésiastiques, les charges de judicature ou de finances ouvraient leurs largesses à une foule de familles bourgeoises ou titrées. Une émigration incessante peuplait Paris et la province de ces enfants du Midi qui, pleins de vivacité et d’adresse, se pressaient aux avenues du pouvoir, y pénétraient en s’entr’aidant l’un l’autre, et souvent, dans leurs vieux jours, rapportaient au foyer natal quelque fortune amassée, un blason conquis, l’élégance du monde ou de la cour. M. Joubert n’en demandait pas tant ; il ne voulait que voir, apprendre, connaître, et, certain de trouver partout des compatriotes qui lui serviraient, sinon d’appuis, au moins d’introducteurs, il vint à Paris vers le commencement de 1778.

Son premier soin fut d’y rechercher la société des gens de lettres ; tentative heureuse, car, au bout de peu de mois, il connaissait Marmontel, Laharpe, d’AIembert. Bientôt même il était admis dans la familiarité de Diderot, qui tenait encore à Paris le sceptre de la conversation. C’était débuter par les grandes entrées. Ses relations avec les chefs des encyclopédistes ne nous sont connues que par les récits qu’il en faisait quelquefois et par des notes retrouvées dans ses cahiers. Il n’avait pu entendre, sans en être profondément remué, la parole de Diderot, cet homme étrange chez qui la conviction semblait s’allier au sophisme, la folie à l’éloquence, le cynisme à la bonhomie. Il étudiait les arts pour être digne de lui parler de ses Salons ; il s’occupait des ques-