Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/30

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« idées sont mûres, je vous dirai en conscience qu’il ne « faudrait, pour me punir, que me condamner à relire « ces ouvrages.

« II y a mille choses que je vous écrirais, si je ne craignais de vous bouleverser totalement. Ma conclusion « est que le peuple anglais vaut moins de près que de « loin. La patrie de l’imagination est celle où vous êtes « né. Pour Dieu ! ne calomniez point la France, à qui « vous pouvez faire tant d’honneur ! Lisez dorénavant « quelques pages de Shakspeare, et tout Athalie, toute « Zaïre, toute Mérope ; félicitons-nous d’être nés sous « ce beau ciel, sur cette belle terre, parmi ces aimables « habitants du premier royaume de l’Europe. »

Ces vives attaques contre la littérature anglaise bouleversaient-elles, en effet, les idées de M. Joubert ? Peutêtre sou admiration pour Shakspeare eu était-elle intimidée, car il ne pouvait le lire que dans une traduction qu’on lui disait mauvaise ; mais assurément elles ne modifiaient pas son opinion sur les productions de notre langue. Il est, eu effet, deux manières dejuger les livres. L’une consiste à connaître les règles posées par les maitres, et à appliquer à chaque œuvre une mesure convenue, en dehors de laquelle toute approbation est refusée. L’autre s’occupe moins de la règle observée que du sentiment produit, ou plutôt elle cherche la règle dans le sentiment lui-même. Cette dernière, pleine de périls et pour les esprits vulgaires et pour ceux qu’ont faussés ou de mauvaises passions ou de mauvaises doctrines, est le privilège réservé aux intelligences d’élite qu’aucune préoccupation n’égare. C’était celle de M. Joubert. Si les philosophes, ses maîtres, n’avaient pu l’amener au dédain de