Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/31

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l’autorite religieuse ou politique, leurs enseignements du moins lui avaient laissé, du côté de l’art, une singulière indépendance. Il préférait de beaucoup, à cette sorte de critique officielle qui s’appuie aveuglément sur la tradition et l’autorité, la voix bien écoutée de ses impressions personnelles. La fibre littéraire était d’ailleurs chez lui si facilement émue, et son habileté était telle à en distinguer les plus légers frémissements, que M. deFontanes, après ces premières luttes, ne tarda guère à l’accepter comme le juge le plus consciencieux et le plus sur des travaux de l’intelligence.

L’amitié cependant ne se nourrit pas seulement de l’échange des idées. Il faut que les intérêts de la vie y trouvent leur compte aussi bien que ceux de l’esprit. Sans doute il n’est pas rare de rencontrer, dans la région des lettres, des hommes habiles à peindre toutes les passions, toutes les tendresses, et pourtant assez robustes, à l’endroit du cœur, pour n’en éprouver sérieusement aucune : sortes d’histrions qui ne quittent guère l’habit de parade pour le déshabillé de l’intimité, et qui, du théâtre où la foule les contemple, daignent rarement descendre aux faiblesses pratiques des affections privées et des secrets dévouements. Peut-être, au surplus, littérairement parlant, ne faut-il pas s’en plaindre. Il est des mouvements de l’âme qui ne peuvent être bien vus et bien décrits qu’à distance, des émotions qui ne seraient fertiles qu’en lieux communs, si l’analyse n’avait plus depart à leur expression que le sentiment ; et il me semble qu’en ce cas l’écrivain a la main plus sûre en copiant ce qu’il voit qu’en montrant ce qu’il éprouve, comme le peintre réussit mieux à faire le portrait des autres que le sien. Mais l’âme de