Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/50

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ne fallait chercher là ni Voltaire, ni.l.-J. Rousseau, ni les autres écrivains de l’école philosophique ; on y rencontrait, en revanche, toutes sorte* d’éditions de Platon, d’Homère, de Virgile, d’Àristote, de Plutarque, une foule de ces vieux livres où les xvie et xvne siècles ont recueilli les débris épars de l’antiquité grecque ou romaine, et les curiosités bibliographiques que recommandait le double mérite de la rareté et de l’originalité. Sa passion pour les livres n’était pas celle du bibliomane qui, comme l’avare, amoncelle des trésors dont il ne sait point user. Il lisait tout, et la plupart des volumes de sa bibliothèque portent encore les vestiges du passage de sa pensée : ce sont de petits signes dont j’ai vainement étudié le sens, une croix, un triangle, une fleur, un thyrse, une main, un soleil, vrais hiéroglyphes que lui seul savait comprendre et dont il a emporté la clef. Son heureuse mémoire cependant aurait pu se passer d’un tel secours. Il n’oubliait rien en effet des choses qu’il avait lues ; l’aspect seul du volume, un regard jeté sur la couverture, sur le titre, suffisaient pour réveiller tous ses souvenirs et renouveler soudainement ses impressions premières. C’était, de ses livres à lui, un commerce de tous les instants, une sorte de courant intellectuel presque ininterrompu. Ils ne renfermaient pas une bonne parole dont il ne leur tînt compte en passant, un mauvais propos dont il ne leur gardât rancune. Aussi était-il devenu fort scrupuleux dans le choix des volumes qu’il admettait sur ses rayons. Il avait grand soin de ne s’entourer que d’ouvrages amis et proscrivait, comme un voisinage fâcheux, les auteurs qui blessaient sa pensée. Mais les autres, comme il les aimait ! Je me rappelle à ce sujet, et l’on me pardonnera