Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/73

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« H avril. J’ai pensé à mon propre bonheur, ii l’état de calme et de paix de l’âme et du corps de la mère, à « la bonne et décente conformation de l’enfant, qui est « un bien inappréciable. Quoique né d’une mère faible, « il est fort assez : sa constitution est saine : on l’eût levé « de terre à Lacédémone.

« Accouchement ne fut jamais plus heureux, ni allaitement moins difficile. Après tant de craintes si heureusement démenties, je me suis dit : Réjouis-toi ; j’ai « gardé la maison et me suis promené dans le petit jardin pour me recueillir dans ma joie. »

Ce fils, objet de bien des espérances par les grâces de son premier âge et les succès de sa jeunesse, ne les avait pas toutes remplies. Quand le temps de la maturité était venu, il avait fallu combattre en lui, et l’on avait combattu vainement d’iaexplicables bizarreries, un éloignement singulier des voies communes, un dégoût insurmontable pour tout effort utile, toute occupation féconde. Ce n’était pas qu’il ne fût doué d’un esprit distingué, d’une instruction solide et d’un cœur excellent ; de vifs sentiments religieux le garantissaient d’ailleurs des mauvaises passions et des écarts qu’elles amènent ; mais, frappé d’une sorte d’immobilité morale, il se dérobait, par une résistance inerte, et pourtant opiniâtre, aux soins que son père voulait prendre de ses relations et de son avenir. Dans cette lutte très-active d’un côté, toute passive de l’autre, ils s’obstinaient mutuellement, d’autant plus malheureux tous les deux que M. Joubert découvrait, dans l’intelligence de son fils, la promesse de tous les succès, et que la nature de celui-ci, plus puissante que ses résolutions, le retenait, comme une