Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/69

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un pianiste frappe les touches, et sans avoir besoin de connaître le mécanisme intérieur de l’instrument, sans savoir comment se font les notes, les combine et en jouit, de même l’homme, en pensant, détermine la production de l’idée en lui, sans apercevoir l’intime travail de l’intelligence… Mais il peut, tout comme le pianiste, regarder dans la machine, la démonter pièce à pièce pour étudier la nature des phénomènes qu’il y produit. » J’imagine que notre poète a eu de bonne heure la curiosité de regarder dans son instrument, d’en observer le mécanisme et les ressorts. Les questions d’esthétique l’ont toujours vivement préoccupé. Outre une étude approfondie sur l’Expression dans les beaux arts, il a publié des Réflexions sur l’art des vers, qui contiennent, sinon toute sa Poétique, du moins la théorie de sa versification.

M. Sully-Prud’homme a entrepris la noble tâche de défendre contre les décadents la dignité du Vers français et même de la grammaire française. À tous ces jeunes gens, "S qui affichent et pratiquent systématiquement le mépris des règles les plus élémentaires de l’orthographe poétique et même du vocabulaire et de la correction grammaticale, M. Sully-Prud’homme rappelle la nécessité de la loi, le respect des codes établis, la dignité séculaire de la langue française telle que l’ont faite des générations de grands écrivains ; et il faut le remercier d’avoir bien voulu, avec l’autorité que lui donne une vie de labeur et un incontestable talent, opposer une barrière à ces tentatives fâcheuses pour la bonne réputation de la Poésie française.

En ce qui concerne plus particulièrement la versification, je ne trouve pas d’innovations proprement dites dans la théorie de Sully-Prud’homme. Notre poète se contente de reproduire à sa manière, et dans un style sobre et vigoureux, les idées que M. Becq de Fouquières avait exprimées dans son Traité de versification française et que Th. de Banville a formulées à son tour dans son Petit traité