Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/70

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de poésie. Il prend en somme pour idéal le vers de V. Hugo, et la seule innovation qu’il admette, bien qu’il n’en ait jamais usé pour son compte, c’est celle que Th. de Banville avait réclamée, la suppression de la césure apparente, au milieu des vers, dans certains cas. Ce vers de Th. de Banville


Elle filait pensivement la blanche laine


lui paraît très bon et d’une coupe très heureuse. Mais voilà assez de théorie ; passons à la pratique. Après tout, les idées importent peu en matière d’art ou de poésie ; la mise en œuvre est l’essentiel. Voyons en quoi consiste l’œuvre poétique de Sully-Prud’homme.


L’œuvre poétique de Sully-Prud’homme comprend cinq volumes, publiés chez Alph. Lemerre. Ce sont les Stances et Poèmes (1865—1866), les Épreuves et les Solitudes (1866—1872), les Vaines Tendresses (1872—1878), la Justice (1878—1879) et le Bonheur (1879—1888).

Tous ces poèmes présentent une unité remarquable, au point de vue du fond comme au point de vue du style. On y remarque une extrême précision dans la forme, précision qui va souvent jusqu’à la concision, et donne toujours une grande impression d’élégance, et dans le fond, des tendances à l’analyse psychologique et aux généralisations philosophiques. Mais si l’on ne se contente pas d’une vue d’ensemble et qu’on se livre à une critique méticuleuse de ces diverses pièces, on ne tarde pas à remarquer, dans leur succession, une loi de développement, et comme vous dites, vous autres, Allemands, dans votre langage philosophique, eine genetische Entwicklung. Le soin qu’a pris le poète de marquer les dates précises de ses productions n’est pas inutile. Je distingue, pour mon compte, trois moments principaux dans cette évolution, je n’ose pas dire trois manières, et ces trois moments, je vais les indiquer tout de suite.

1° D’abord je trouve une poésie sentimentale et person-