Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/75

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qui n*était qu’entrevue ou ébauchée dans les Stances et Poèmes, et aboutit à un pessimisme amer mais résigné. Étudions de plus près ces tendances, et donnons des exemples.

On trouve d’abord quelques descriptions dans ce volume, (le Cygne, Croquis italiens). Sully-Prud’homme n’aime ni les couleurs voyantes, ni les sons éclatants. De la nature extérieure, il ne voit pas comme Victor Hugo ou Leconte de risle, les midis flamboyants, les nuits ténébreuses: son œil ne perçoit que les couleurs adoucies, les paysages estompés, les ciels crépusculaires. Il est moins sensible encore aux couleurs qu’aux contours, aux lignes et aux formes. Il est en poésie ce que Puvis de Chavannes est en peinture : il est le Puvis de Chavannes de la Poésie française contemporaine.

Il cherche la Beauté idéale. Il y a certes dans ses poésies, principalement dans les Vaines Tendresses, autre chose qu’un amour idyllique ; mais l’aiguillon de l’amour physique lui paraît vicier le culte pur de la beauté. Il aspire au moment où la vieillesse le délivrera de ce souci.


Et vous, oh! quel poignard de ma poitrine ôté,
Femmes, quand du désir il n’y sera plus traces,
Et qu’alors je pourrai ne voir dans la beauté
Que le dépôt en vous du moule pur des races.


De même il s’élève naturellement à la conception des lois qui régissent la matière, et se donne volontiers la représentation de ce monde abstrait qu’imaginent les savants. N’oublions pas que Sully-Prud’homme a fait au lycée ses classes de sciences, qu’il s’est préparé à l’École polytechnique et qu’il a été ingénieur au Creusot. De là ses sonnets scientifiques : la Roue, le Fer, une Damnée, le Rendez-vous. Quand il parle de l’action, c’est de l’action scientifique qu’il s’agit, conçue à la manière de Bacon, de cette action qui doit valoir à l’Homme l’empire sur la nature. Cette idée a