Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nomie des hommes. S’il entre au café-concert, il n’oublie pas de nous décrire


La chanteuse fardée et montrant ses épaules.
Le baryton barbu, gêné dans ses gants blancs,
Et le pitre, aux genoux rapprochés et tremblants.
En grand faux-col, faisant des grimaces atroces…


La petite ouvrière qui se rend à son travail du grand matin, la marchande de journaux « active à servir la pratique » qui se démène, cherchant les sous dans son tiroir, et vend d’une humeur absolument égale journaux conservateurs et radicaux, l’ouvrier qui après boire parle politique, le patron qui écoute les doléances du père Jean «en cassant des noisettes», tous les types qu’il rencontre et qu’il met en scène, sont croqués avec leurs gestes coutumiers, leurs tics professionnels, avec une exactitude photographique. Les poèmes de Coppée sont un très amusant défilé d’ombres chinoises. Les portraits ne sont jamais très poussés, mais le trait juste, essentiel, qui fait la ressemblance, n’y manque jamais, quelquefois avec un soupçon de caricature.

Et le poète ne se contente pas de reproduire le geste, il ressent et il exprime discrètement le sentiment qu’il traduit. Pour lui comme pour Alphonse Daudet, il est extrêmement difficile de savoir quel est, de ces deux éléments, celui qui. suscite l’autre, et si c’est la sensibilité du cœur qui provoque l’observation nette et distincte, ou si c’est au contraire la faculté d’observer qui émeut et entraîne à sa suite la sensibilité et la sympathie. Mais c’est sans doute être victime des inconvénients et des défauts de l’analyse psychologique que de chercher une solution à ce petit problème. Disons seulement que la sensibilité et le don d’observation sont si harmonieusement fondus qu’ils opèrent simultanément et sans partage. Coppée observe les humbles parce qu’ils les aime, et il partage leurs émotions, leurs désirs, leurs souffrances parce qu’il sait les observer, et qu’à travers