Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/94

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pour la définition exacte du sonnet régulier) — il faut que les mots soient choisis avec soin, qu’il n’y ait ni chevilles ni répétitions inutiles, — il faut que les tercets, bien que plus courts, équilibrent, par la beauté de Timage ou la magnificence de l’expression, les deux quatrains qui les précèdent — il faut enfin que le dernier vers contienne un trait « exquis ou surprenant, ou excitant l’admiration par sa justesse et par sa force. » Hérédia remplit toutes les conditions : la sonorité des mots, l’ampleur de l’image ou de la pensée, nous font oublier ce que la forme du sonnet a d’un peu grêle. Et quant à la correction de la phrase, du vers ou du sonnet, elle est impeccable. Pour avoir une idée de ce qu’un tel souci de la perfection a coûté de travail au poète, il faudrait pouvoir étudier les manuscrits originaux et faire sur les sonnets de Hérédia un travail analogue à celui que Paul Glachant a fait sur la Légende des siècles de Hugo. Mais je doute que le poète des Trophées mette jamais la postérité dans la confidence de ses corrections, c’est-à-dire de ses faiblesses. Je n’ai qu’un spécimen de ce genre à ma disposition. Hérédia a publié dans le premier volume du Parnasse le sonnet Fleur de feu, tel qu’il l’avait d’abord écrit. Nous le retrouvons dans les Trophées, mais profondément remanié. Je n’ai pas le loisir de faire ressortir, vers pour vers et mot pour mot, la nature de ces remaniements. Qu’il me suffise de dire que les corrections ont consisté à donner au sonnet une forme plus régulière, à enrichir les rimes et à fortifier l’expression.

Ce que j’admire particulièrement dans Hérédia, c’est plus peut-être que la forme impeccable du sonnet et la richesse des rimes, la qualité de sa langue et de son vocabulaire. La propriété des termes y est surprenante et donne une saveur particulière à ce style sobre et précis. Quand le poète parle de Rome, il ne craint pas d’employer les mots latins, le buccinateur, l’ergastule, le lectisterne, le rostre , ou même l’aplustre, qui me parait très heureusement introduit