Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/95

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dans notre langue. Les termes techniques sont toujours choisis avec soin et dans leur sens primitif.

Les chiffres enlacés que liait l’entrelacs
…au réduit sombre où ronfle l’athanor

Les exemples abondent. Enfin on est agréablement surpris de constater que le poète a repris avec bonheur quelques vieux mots, qui ne sont pas encore tombés complètement en désuétude, et que les amis de la langue française re- grettent de voir disparaître.

L’hiver a défleuri la lande et le courtil
A l’orle de la gueule à jamais refroidie…
La Terre sent la flamme immense ardre ses flancs…

Tous ces alliages divers forment un métal d’une fermeté à toute épreuve. C’est surtout par sa langue, la justesse de son expression, l’élégante concision de ses tours que Hérédia mérite d’être classique.

Et quelle est la matière qui a été coulée, avec cette perfection artistique, dans le moule du sonnet ? Cette matière, c’est l’histoire et l’érudition qui l’ont fournie en grande partie, c’est aussi, pour une plus faible part, l’observation de la nature et la fantaisie du poète (v. le chapitre La Nature et le Rêve).

Quelqu’un a dit, M. de Vogué, je crois (dans l’article qu’il a écrit sur les Trophées, à l’apparition du volume, dans le Joumal des Débats), que Hérédia avait voulu écrire, lui aussi, une petite Légende des siècles. Et il est bien vrai qu’à un certain point de vue tous les poètes, depuis Homère jusqu’à Racine, depuis Racine jusqu’à Hérédia, apportent leur contribution, plus ou moins brillante ou copieuse, à cette merveilleuse légende de l’humanité qui n’est autre au fond que la Poésie elle-même. Mais si l’on veut définir, avec plus de précision, l’œuvre de Hérédia, on verra que s’il fait usage de la légende, il ne la fabrique pas lui-même,