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LES DÉCORÉS

Rodin regarda, par hasard, mes essais, s’intéressa à moi, m’offrit ses conseils, m’apprit à voir et à penser. On me poussa à entrer aux Beaux-Arts. Je n’y remportai aucun succès. Les admirations qu’on ingurgite de force à la jeunesse — comme la pâtée à des poulets à l’engrais — ne passaient pas. Impossible de mettre sur pied un Apollon ou un Spartacus avec la dose de sublime réglementaire ; la mythologie et la ferraille antique m’assommaient. Je comprenais autre chose : un art français, moderne, vivant, nerveux, humain, un art reproduisant les types qui nous entourent, un art fixant, dans le marbre et le bronze, nos passions, nos émotions, nos joies, nos souffrances.

Ma mère, à qui j’égrenais mes théories, les trouvait superbes, naturellement ; son fils ne se manifestait-il pas comme le premier artiste du siècle ? Mes moindres paroles n’étaient-elles pas marquées du sceau du génie ? Du reste, j’aurais été voleur et assassin qu’elle aurait