Page:Journal asiatique, série 1, tome 5.djvu/97

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divine qui extermine tôt ou tard les brigands et les homicides, rendirent au ciel et à la terre mille actions de grâces, et s’en retournèrent au bateau, où le muet, qui avait tout à coup recouvré la parole, leur demanda pourquoi son maître ne revenait pas avec eux. Monsieur et madame Weï-te lui racontèrent l’aventure dans tous ses détails. Alors le muet, joignant les mains, s’écria d’un ton pénétré : Nan-wou-ô-mi-to-fo ! (c’est-à-dire, ô Bouddha, je mets ma confiance en toi), et depuis ce moment il continua à jouir du don de la parole ; il en profita pour raconter l’un après l’autre les crimes nombreux qu’avait commis le batelier ; mais Weï-te ne pouvait revenir de sa surprise en entendant parler un homme qui était muet de naissance.

Ils le conservèrent pour les conduire, et, arrivés dans leur pays natal, ils vendirent le bateau, et bâtirent un temple à Bouddha, où, jour et nuit ils offraient avec le muet des parfums et des prières. Les deux époux, toujours pénétrés de reconnaissance, continuèrent jusqu’à la fin de leurs jours à révérer Bouddha. Dans les siècles suivans les poètes célébrèrent cette aventure dans leurs ouvrages. Voici à ce sujet quatre vers dignes d’être cités :

Tchang feignit qu’il y avait un léopard, quoiqu’il n’y en eût point ;
C’est son crime seul qui a suscité le léopard.
Si le fond de son cœur eût été vertueux,
Et qu’il y eût eu un léopard, il se serait caché au fond de la forêt.