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ANNÉE 1911

ans, il y a 5 ans même, je n’aurais pas trouvé en elle ce que j’y trouverais demain. Je ne crois pas du tout à la jeunesse, on ne devient sincère, on ne devient soi qu’après 30 ans.

Eh bien, en toute sincérité, et pour les aveux d’outre-tombe, quelle est cette sensibilité, telle que ma vie, ma vie à moi, si différente, a pu la travailler depuis 20 ans ?

D’abord un grand dégoût de ce qui ne compte pas et quelque chose d’infaillible et de tranchant dans l’art de le discerner, car ce qui ne compte pas se paie d’un farouche ennui. Or, en dépit de tout ce que je suis, mon journal en fait foi, je n’ai jamais cessé d’avouer que je m’ennuyais. C’est pourquoi je ne prise guère les gens qui ne s’ennuient jamais, car je sais bien que si j’étais à leur place… C’est pourquoi aussi « mes succès » ne peuvent pas grand’chose pour mon bonheur actuel et ne me distraient presque pas. J’ai dit de suite « cela ne se sent pas » et pour en arriver à ceci, que le mot de Mme Swetchine est admirable : « C’est par l’esprit qu’on s’amuse, mais c’est par le cœur qu’on ne s’ennuie pas ». — N’allez pas conclure que je donnerais mon talent pour une vie normale « pour être aimée ». Si j’ai mon talent, c’est par exigence amoureuse, il est la mesure de ce que je valais en amour. Et j’ai besoin de lui, et je ne me passerai pas de lui à cause de ces droits nouveaux qu’il