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ment confirma l’exactitude de la version qui circulait dans les salons de Paris et de Versailles. Plus tard, quand l’arrêt du parlement d’Aix fut cassé, et que le comte de Sade eut racheté sa tête par une amende de cinquante francs, son prétendu attentat, si romanesque et si atroce dans le but non moins que dans les circonstances, avait frappé trop vivement les esprits pour que la révélation tardive de la vérité parvint à effacer les fables qui avaient pris sa place.

Cependant la vérité était d’accord avec la vraisemblance pour détruire la calomnie que le marquis de Sade avait inventée contre lui-même. Je rapporte à ce sujet le récit que je tiens d’un vieillard digne de foi, et je suis seulement surpris que la famille de Sade, plus intéressée que moi à démentir le faux bruit de ce bal donné à Marseille et souillé par un inceste, n’ait pas publié bien haut comment les choses se sont passées.

Le marquis de Sade revint à Paris en 1766, après avoir fait la guerre en Allemagne et gagné sur le champ de bataille le grade de capitaine de cavalerie. Son père, qui lui reprochait plusieurs folies de jeune homme, avait hâte de le marier, dans l’espérance de le forcer par là à une conduite plus sérieuse. M. de Montreuil, président à la cour des aides, se trouvait lié d’amitié avec le père du marquis, et les deux amis délibérèrent ensemble d’ajouter à leur ancien attachement un nouveau gage de durée en mariant leurs enfans. M. de Montreuil avait deux filles, l’une âgée de vingt ans, l’autre de treize, toutes les deux également jolies et bien élevées, mais bien différentes d’humeur et de beauté. L’aînée était brune de teint, avec les yeux et les cheveux noirs, grande, majestueuse, remplie de talens, et pourtant exclusivement occupée de dévotion, négligente de plaire et dépourvue de toute chaleur de cœur, excepté dans l’exer-