Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/147

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rase la terre avec colère, parce qu’il ne trouve pas à se loger dans le feuillage des grands arbres. Je ne vois que des sapins maigres, longs comme des mâts, et la montagne apparaît là-bas, nue et pelée comme le dos décharné d’un éléphant.

C’est vide, vide, avec seulement des bœufs couchés, ou des chevaux plantés debout dans les prairies !

Il y a des chemins aux pierres grises comme des coquilles de pèlerins, et des rivières qui ont les bords rougeâtres, comme s’il y avait eu du sang : l’herbe est sombre.


Mais, peu à peu, cet air cru des montagnes fouette mon sang et me fait passer des frissons sur la peau.

J’ouvre la bouche toute grande pour le boire, j’écarte ma chemise pour qu’il me batte la poitrine.

Est-ce drôle ? Je me sens, quand il m’a baigné, le regard si pur et la tête si claire !…

C’est que je sors du pays du charbon avec ses usines aux pieds sales, ses fourneaux au dos triste, les rouleaux de fumée, la crasse des mines, un horizon à couper au couteau, à nettoyer à coups de balai…

Ici le ciel est clair, et s’il monte un peu de fumée, c’est une gaieté dans l’espace, — elle monte, comme un encens, du feu de bois mort allumé là-bas par un berger, ou du feu de sarment frais sur lequel un petit vacher souffle dans cette hutte, près de ce bouquet de sapins…

Il y a le vivier, où toute l’eau de la montagne court en moussant, et si froide qu’elle brûle les doigts. Quel- -