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les naufragés de l’air.

Le marin ne s’attendait pas à cette question. Il réfléchit un instant et répondit :

« À deux encâblures, au plus.

— Mais qu’est-ce qu’une encâblure ? demanda Gédéon Spilett.

— Cent vingt brasses environ ou six cents pieds.

— Ainsi, dit le reporter, Cyrus Smith aurait disparu à douze cents pieds au plus du rivage ?

— Environ, répondit Pencroff.

— Et son chien aussi ?

— Aussi.

— Ce qui m’étonne, ajouta le reporter, en admettant que notre compagnon ait péri, c’est que Top ait également trouvé la mort, et que ni le corps du chien, ni celui de son maître n’aient été rejetés au rivage !

— Ce n’est pas étonnant, avec une mer aussi forte, répondit le marin. D’ailleurs, il se peut que les courants les aient portés plus loin sur la côte.

— Ainsi, c’est bien votre avis que notre compagnon a péri dans les flots ? demanda encore une fois le reporter.

— C’est mon avis.

— Mon avis, à moi, dit Gédéon Spilett, sauf ce que je dois à votre expérience, Pencroff, c’est que le double fait de la disparition absolue de Cyrus et de Top, vivants ou morts, a quelque chose d’inexplicable et d’invraisemblable.

— Je voudrais penser comme vous, monsieur Spilett, répondit Pencroff. Malheureusement, ma conviction est faite ! »

Cela dit, le marin revint vers les Cheminées. Un bon feu pétillait sur le foyer. Harbert venait d’y jeter une brassée de bois sec, et la flamme projetait de grandes clartés dans les parties sombres du couloir.

Pencroff s’occupa aussitôt de préparer le dîner. Il lui parut convenable d’introduire dans le menu quelque pièce de résistance, car tous avaient besoin de réparer leurs forces. Les chapelets de couroucous furent conservés pour le lendemain, mais on pluma deux tétras, et bientôt, embrochés dans une baguette, les gallinacées rôtissaient devant un feu flambant.

À sept heures du soir, Nab n’était pas encore de retour. Cette absence prolongée ne pouvait qu’inquiéter Pencroff au sujet du nègre. Il devait craindre ou qu’il lui fût arrivé quelque accident sur cette terre inconnue, ou que le malheureux eût fait quelque coup de désespoir. Mais Harbert tira de cette absence des conséquences toutes différentes. Pour lui, si Nab ne revenait pas, c’est qu’il s’était produit une circonstance nouvelle, qui l’avait engagé à prolonger