Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/16

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Ma conjecture est que se demandant de plus en plus et avec inquiétude sur quelles bases sérieuses on s’appuierait pour boucler l’évolution rythmique et la réduire à des variations sur le principe binaire, on ira au vers libre.

Et je vais dire toute ma pensée : je crois que même si une réaction condamnait le vers libre, si, pour des raisons multiples, excellentes, irréfragables on en revenait à la pratique littéraire d’avant 1884, si on décrétait nos innovations hasardées, inutiles, cela n’aurait qu’une importance relative. Une évolution faite dans le sens de la liberté du rythme et de son élargissement est toujours destinée, à la longue au moins, malgré les réactions, à s’imposer ; les réactions sont fatales, l’action les cause. Et puis, les jeunes gens qui ne partagent point nos idées théoriques sont tellement imbus de l’application pratique que nous en avons faite, ont absorbé assez de l’influence de l’un ou l’autre de nous, ou bien sont assez fortement pénétrés de l’influence d’un de nos aînés, de ceux qui ont travaillé au défrichement des routes que nous avons tracées, que leur vers libéré et même leur vers parnassien profondément modifié n’est plus, sauf exception, l’ancien vers, et que tel qui nie le symbolisme se sert du vers verlainien comme un sourd, que tel qui se relie étroitement au passé, développe et fait aboutir des conceptions que nous avions indiquées. Je ne discute pas les détails ; je ne veux pas dire que des jeunes gens venus après nous sont nos vassaux littéraires. Je dis simplement qu’à les lire on voit que nous sommes passés, l’un ou l’autre lu et consulté par eux avec plaisir, et s’ils font autre chose