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symbolistes et décadents

phes et ses acrobates sentencieux, jusqu’au triste Elseneur, jusqu’à la vallée du Gazon Diapré irradiée de printemps.

Ce livre fait foi des beaux livres que nous eût donnés Laforgue. Cela et ses poèmes suffisent à constituer sa physionomie, à nous faire regretter les développements des idées consignées dans les notules fragmentaires publiées après sa mort.

Pour dire toutes ces choses ténues, il s’était forgé un style d’une extrême souplesse, sa phrase a l’allure d’un bel entrelacs. Point de parures ni de surcharge. Elle chemine très vite, pressée d’arriver à une autre idée, mais sa hâte ne l’empêche point d’enclore tous les mots essentiels ; ces mots sont choisis de façon à provoquer dans l’esprit de multiples rappels d’idées analogues ; des parenthèses sont indiquées, contenant le germe d’un alinéa que le lecteur peut se construire ; cette phrase est vivante, ondoyante. Peu de musique, mais une plastique perpétuellement mobile, perpétuellement évocatrice, parfois des allitérations, des rappels de sonorité, mais toujours pour le sens. Voyez le commencement de Persée et Andromède, la cérémonie de Lohengrin, les monologues d’Hamlet, et le chant à l’Inconscient, les conseils de Salomé, et pensez que le maître alors qui dominait toute prose était Flaubert, et qu’il fallait chercher, chacun de son côté, une formule qui n’eût pas cette implacable beauté, et cette trop résistante certitude, cet absolu de netteté incommode pour exprimer les nouvelles idées complexes dont c’était l’heure de naître à la littérature.

Sa perte est irréparable dans notre évolution litté-