Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/293

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Il y a contre le romantisme Lamartinien et Mussétique, un peu pleurard et faussement folâtre, la réaction de Leconte de Lisle qui veut évoquer, et non soupirer, déclamer et non chanter ; et les visions antiques et barbares apparaîtront, plus serrées que chez Hugo, plus volontairement plastiques et impassibles, sans que le poète intervienne. Il y a la réaction de Baudelaire qui pense que l’instrument romantique est trop lâche, que le fonds des idées romantiques est banal. Baudelaire n’étiquette pas sa recherche, n’a pas souci de choisir un adjectif pour fonder une école ; il est romantique à la façon de Delacroix, et non selon Hugo, et il admire Gautier à cause de sa grande souplesse artiste. Mais son art procède de lui-même. Avec plus de couleur et de rythme que les romantiques, avec plus de sonorité intime, d’un verbe plus nourri de latinité, il reprend leur préoccupation de poésie personnelle, et au lieu de la cantonner dans le paysage agreste et l’amour, il écoute les songes, les cauchemars et les spleens. Il se rettache à Sainte-Beuve par un souci de connaissance exacte et reprend l’œuvre oubliée de Bertrand. Bertrand avait voulu par ses poèmes en prose faire l’image stricte, sans être gêné par la formule du vers — pas un mot de trop, et par conséquent pas de chevilles — Baudelaire élargit définitivement la forme d’Aloysius Bertrand. Il veut trouver à côté du vers, qu’il a fait pourtant si plein et si souple, un instrument intermédiaire, une forme plus musicale — second mouvement de lassitude contre la stricte monotonie du vers français classique insuffisamment libéré par le romantisme. Le premier de ces craquements dans la machine d’apparence si