Page:Kant-Mélanges de Logique (trad. Tissot), 1862.pdf/358

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comme le moyen le plus prompt et le plus efficace tout à la fois est précisément le meilleur à ses yeux, elle enlève la liberté de penser, et soumet cette affaire, comme toutes les autres, aux lois constitutionnelles du pays. C’est ainsi que la liberté de penser, quand elle va jusqu’à vouloir s’affranchir des lois mêmes de la raison, finit par s’anéantir de ses propres mains.

Amis de l’humanité et de ce qu’il y a de plus saint pour elle, admettez ce qui vous parait le plus digne de foi après un examen attentif et sincère, qu’il s’agisse de faits ou de raisonnements ; seulement ne contestez pas à la raison ce qui fait son souverain bien sur la terre, le privilège d’être la pierre de touche de la vérité[1]. Autrement, indignes de cette

  1. Penser par soi-même c’est chercher en soi-même (c’est-à-dire dans sa propre raison) la pierre de touche suprême de la vérité ; et la maxime de penser toujours par soi-même est la culture de l’esprit. Ce qui ne suppose pas tout ce que supposent ceux qui font consister cette culture dans les connaissances, puisqu’elle est plutôt un principe négatif dans l’usage de la faculté de connaître, et que souvent celui qui est très-riche en connaissance est très-peu éclairé dans l’usage qu’il en fait. Se servir de sa propre raison ne signifie donc que se demander à soi-même dans tout ce qu’on doit entreprendre, s’il convient d’ériger en principe universel de l’usage qu’on fait de sa raison, le motif pour lequel on entreprend quelque chose ou la règle qui en résulte. Chacun peut faire en soi-même cette expérience, et voir la superstition et le fanatisme se dissiper immédiatement par cet examen, quoique tout le monde ne possède pas à beaucoup près les connaissances suffisantes pour combattre ces deux états de l’esprit par des raisons objectives : car il suffit alors de la simple maxime de la conservation de la raison par elle-même. Il est donc très-facile de fonder par l’éducation dans les sujets individuels la culture de l’esprit ; il suffit d’habituer de bonne heure les jeunes têtes à cette réflexion. Mais éclairer un siècle est une très-grande affaire ; il se rencontre de nombreux obstacles extérieurs qui empêchent en partie cette espècè d'éducation, ou qui la rendent difficile.