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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


ceux qui font des plans d’éducation ou qui ont des enfants à élever devraient l’avoir sans cesse devant les yeux. Mais c’est le contraire qui arrive : on ne songe qu’au présent ; il s’agit bien de l’avenir !

Notre philosophe signale ici les deux principaux obstacles qui, selon lui, s’opposent au progrès de l’éducation et, par suite, à l’amélioration de l’humanité. « 1° Les parents n’ont ordinairement souci que d’une chose, c’est que leurs enfants fassent bien leur chemin dans le monde ; et 2° les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour leurs desseins 1[1]. » Je me garderai bien de rechercher si, depuis Kant, les princes ont changé de système ; mais ce que je puis dire, c’est que le nombre des parents qu’il accuse est toujours fort considérable. S’il se plaignait que de son temps on ne songeât point assez au bien général, que dirait-il, en entendant les leçons que tant de pères donnent aujourd’hui à leurs fils ?

Cependant, on l’a vu, il est loin de désespérer. Il pense que, mieux éclairés sur leurs devoirs et leurs vrais intérêts, les hommes finiront par comprendre que le bien général n’est nullement incompatible avec leur bien particulier, et qu’en se proposant le premier pour but, ils n’en travailleraient que mieux au second. Mais s’il espère l’avènement d’une meilleure éducation et d’un meilleur état de l’humanité, ce n’est pas sur le concours des princes qu’il compte pour cela. Comment espérer qu’ils consentent jamais à voir dans leurs sujets autre chose que des instruments pour leurs desseins, et dans l’éducation, qu’un moyen de mieux approprier ces instruments à ces desseins ? Si donc ils donnent de l’argent pour cet objet, ils se réserveront le droit de tracer le plan qui leur convient ; et, quand ils n’auraient pas pour but de façonner des hommes à leur guis e, toujours est-il qu’en ôtant à l’esprit humain sa liberté, ils arrêteraient ses progrès et le condamneraient à languir. Comme exemple de ce mécanisme aveugle, institué par le despotisme des souverains, Kant cite les écoles normales de l’Autriche. « Il est impossible, dit-il 2[2], qu’avec une pareille contrainte on puisse arriver à quelque chose de bon. »

  1. 1 P. 194.
  2. 2 p. 198.