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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


facultés de l’esprit humain est de n’en cultiver aucune isolément pour elle-même et à l’exclusion des autres, mais de cultiver chacune en vue des autres, et les inférieures en vue des supérieures, par exemple la mémoire en vue du jugement, l’esprit et l’imagination en vue de l’intelligence 1[1]. Malheureusement c’est le contre-pied de cette règle si simple qui semble ordinairement servir de principe à l’éducation de la jeunesse, et ce défaut n’est nulle part plus développé que chez nous. De là vient qu’on trouve parmi nous tant de beaux esprits et si peu d’hommes. L’esprit court les rues, dit-on ; je veux bien le croire, mais, hélas ! que n’en peut-on dire autant du caractère ? Nos rues ne seraient pas témoins de tant de lâchetés. Dans l’éducation, telle que Kant la conçoit, le grand point est de former des caractères. C’est le but qu’il veut qu’on se propose dès le début de l’éducation et jusque dans la culture des facultés physiques ; c’est encore celui qu’il assigne à la culture des facultés de l’esprit. De là la sévérité avec laquelle il condamne l’exercice de la mémoire pour elle-même : à quoi bon, par exemple, demande-t-il 2[2], faire apprendre aux enfants de longs discours par cœur ? La déclamation d’ailleurs est une chose qui ne convient qu’à des hommes. De là aussi la rigueur avec laquelle il blâme les purs exercices d’imagination chez les enfants. « On oublie, fait-il remarquer 3[3], que les enfants ont une imagination extrêmement puissante et qu’elle n’a pas besoin d’être tendue davantage. Elle a bien plutôt besoin d’être gouvernée et soumise à des règles. » De là enfin la sentence qu’il prononce contre la lecture des romans à cet âge. : « Il faut retirer tous les romans des mains des enfants 4[4]. » Cette lecture a pour eux un double inconvénient : d’une part elle affaiblit leur mémoire : ils ne prennent pas la peine de retenir des choses qui ne servent qu’à les amuser ; et d’autre part, elle exalte outre mesure leur imagination : « en lisant un livre de ce genre, ils se font à eux-mêmes un roman dans le roman, et, laissant ainsi errer leur esprit, se repaissent de chimères. » Je crois cependant que Kant va trop loin en proscrivant également tous les contes et tous les romans. L’important est de bien les choisir et de n’en

  1. 1 P. 219.
  2. 2 P. 220.
  3. 3 P. 223.
  4. 4 P. 221.