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DOCTRINE DE LA VERTU


importance, alors même qu’on aurait fait cette triste remarque, que notre espèce, vue de près, n’est malheureusement pas faite pour inspirer beaucoup d’amour. — La misanthropie au contraire est toujours haïssable, alors même que, sans aller jusqu’à l’hostilité ouverte, elle se contente de fuir les hommes[1]. Car la bienveillance reste toujours un devoir, même à l’égard du misanthrope, qu’on ne saurait aimer sans doute, mais auquel on peut toujours faire du bien.

Haïr le vice dans l’homme n’est ni un devoir ni une chose contraire au devoir ; c’est simplement un sentiment d’aversion qu’il inspire, sans que la volonté y exerce ou en reçoive quelque influence. La bienfaisance au contraire est un devoir. Celui qui la pratique souvent et dont les bienfaits sont un heureux résultat, peut finir par aimer réellement ceux auxquels il a fait du bien. Quand on dit qu’il faut aimer son prochain comme soi-même, cela ne signifie pas qu’il faut l’aimer d’abord et, au moyen de cet amour, lui faire ensuite du bien, mais qu’il faut lui faire du bien, et que cette bienfaisance déterminera en nous l’amour des hommes (ou nous fera une habitude du penchant à la bienfaisance en général).

Autrement l’amour du plaisir[2] (amor complacentiæ) serait seul directement prescrit. Or avoir pour devoir cet amour (comme un plaisir immédiatement lié à la représentation de l’existence d’un objet), c’est-à-dire être contraint à ce plaisir, c’est chose contradictoire.

  1. Separatistische Misanthropie.
  2. Die Liebe des Wohlgefallens.