Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
iv
ANALYSE CRITIQUE


port ils ne relèvent plus seulement du droit, mais de l’éthique. À ce dernier point de vue, il ne suffit plus, par exemple, de rendre à autrui ce qui lui est dû ; il faut que le mobile de notre conduite soit le respect même de son droit. Dès lors elle n’aura plus seulement un caractère juridique ; elle aura la" vertu pour principe. Mais, si les devoirs de droit rentrent par ce côté dans la sphère de la vertu, ce ne sont pourtant pas des devoirs de vertu. Kant réserve cette expression pour certains devoirs spéciaux que l’on ne saurait exiger de nous au nom du droit. En un sens, la vertu enveloppe tous les devoirs, ou, si l’on veut, il n’y en a qu’un, celui d’agir toujours dans une intention vertueuse ; mais il y a aussi des devoirs particuliers qui sont proprement des devoirs de vertu, et qui se distinguent les uns des autres suivant les diverses fins qu’ils nous proposent.

Il doit nécessairement y avoir des fins qui soient en même temps des devoirs et qui par conséquent ne puissent être regardées comme des moyens relativement à d’autres fins. Autrement, toutes les fins de l’homme étant purement arbitraires, il n’y aurait plus de morale ; tout se réduirait à rechercher les moyens les plus propres à satisfaire les penchants de notre nature sensible 1[1]. Mais quelles sont ces fins qui sont en même temps des devoirs 2[2] ?

Quelles sont les fins qui sont en même temps des devoirs ?

Kant les ramène à deux:1° La perfection de soi-même; 2° le bonheur d’autrui.

Il remarque d’abord qu’il serait contradictoire d’intervertir ici l’ordre des termes, en posant comme des fins obligatoires, d’une part, le bonheur de soi-même, et de l’autre la perfection d’autrui. En effet, chacun poursuivant son bonheur en vertu d’un inévitable penchant de sa nature, il n’y a pas lieu de parler ici de devoir et d’obligation:l’idée de l’obligation ou du devoir renferme celle d’une contrainte exercée sur soi-même en vue d’un but que l’on ne suit pas volontiers. Dirat-on que l’indigence, par exemple, poussant les hommes à l’oubli de leurs devoirs, et l’aisance ayant une influence con-

  1. 1 Introduction III. Du principe de la conception d’une fin qui est aussi un devoir, trad. franc., p. 20.
  2. 2 C’est le titre même du n° iv de l’Introduction de Kant, trad. franc., p. 21.