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DOCTRINE DE LA VERTU


d’en faire porter le poids aux autres et de devenir ainsi leur obligé : on craint de tomber par là au rang inférieur du protégé vis-à-vis de son protecteur, ce qui est contraire au vrai respect de soi-même (à la fierté que doit inspirer la dignité de l’humanité dans sa propre personne). Aussi nous montrons-nous volontiers reconnaissants envers ceux qui ont dû inévitablement nous prévenir par leurs bienfaits (envers nos ancêtres ou nos parents), tandis que nous sommes avares de reconnaissance à l’égard de nos contemporains, et que même, pour effacer ce rapport d’inégalité, nous leur témoignous tout le contraire. — Mais nous tombons alors dans un vice qui révolte l’humanité, non-seulement à cause du préjudice qu’un pareil exemple doit en général porter aux hommes en les détournant désormais de toute bienfaisance (car ils peuvent encore, guidés par un sentiment purement moral, attacher à leur bienfaisance une valeur intrinsèque d’autant plus grande qu’ils en sont moins récompensés), mais parce que l’amour des hommes est ici comme anéanti et que le défaut d’amour dégénère en haine de qui nous aime.

c. La joie du malheur d’autrui, qui est précisément l’opposé de la sympathie, n’est pas non plus étrangère à la nature humaine : mais, lorsqu’elle va jusqu’à aider à faire le mal, elle fait de la misanthropie un vice qualifié[1] et la montre dans toute sa laideur. Il est sans doute dans la nature, ou conforme aux lois de l’imagination, que, par l’effet du contraste, nous sentions plus fortement notre bien-être ou même notre bonne

  1. Qualificirte Schadenfreude.