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INTRODUCTION.


d’être ménagé pendant sa jeunesse par une tendresse maternelle exagérée, car plus tard il n’en rencontrera que plus d’obstacles de toutes parts, et il recevra partout des échecs lorsqu’il s’engagera dans les affaires du monde.

C’est une faute où l’on tombe ordinairement dans l’éducation des grands, que de ne jamais leur opposer de véritable résistance dans leur jeunesse, sous prétexte qu’ils sont destinés à commander. Chez l’homme, le penchant pour la liberté fait qu’il est nécessaire de polir sa rudesse ; chez l’animal, au contraire, l’instinct dispense de cette nécessité.

L’homme a besoin de soin et de culture. La culture comprend la discipline et l’instruction. Aucun animal, que nous sachions, n’a besoin de la dernière. Car aucun n’apprend quelque chose de ceux qui sont plus âgés, excepté les oiseaux qui apprennent leur chant. Les oiseaux, en effet, sont instruits en cela par leurs parents, et c’est une chose touchante de voir, comme dans une école, les parents chanter de toutes leurs forces avant leurs petits et ceux-ci s’efforcer de tirer les mêmes sons de leurs jeunes gosiers. Si l’on veut se convaincre que les oiseaux ne chantent pas par instinct, mais apprennent réellement à chanter, il y a un moyen décisif : c’est d’enlever à des serins la moitié de leurs œufs et d’y substituer des œufs de moineau, ou encore de mêler avec leurs petits des moineaux tout jeunes. Qu’on les mette dans une cage d’où ils ne puissent entendre les moineaux du dehors ; ils apprendront le chant des serins et l’on aura ainsi des moineaux chantants. Il est dans le fait très-étonnant que chaque espèce d’oiseaux conserve à travers toutes les générations un certain chant principal ; la tradition du chant est bien la plus fidèle qui soit au monde.

L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce qu’elle le fait. Il est à remarquer qu’il ne peut recevoir cette éducation que d’autres hommes, qui l’aient également reçue. Aussi le manque de discipline et d’instruction chez quelques hommes, en fait de très-mauvais maîtres pour leurs élèves. Si un être d’une nature supérieure se chargeait de notre éducation, on verrait alors ce qu’on peut faire de nous. Mais, comme l’éducation, d’une part, apprend quelque chose aux hommes, et d’autre part, ne fait que développer en eux certaines qualité, il est impossible de