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xxi
DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


connaît quelque chose de plus précieux que la vie, plus il doit comprendre combien il est criminel de détruire en sa personne un être si élevé, si supérieur à la nature. « L’homme, poursuit notre philosophe, ne peut abdiquer sa personnalité tant qu’il y a des devoirs pour lui, et par conséquent tant qu’il vit ; et il y a contradiction à lui accorder le droit de s’affranchir de toute obligation… Anéantir dans sa propre personne le sujet même de la moralité, c’est extirper du monde, autant qu’il dépend de soi, l’existence de la moralité même ; c’est disposer de soi-même comme d’un pur instrument. »

Il y a aussi un suicide partiel : c’est celui qui consiste à se priver de quelqu’un de ses organes dans un vil intérêt. Celui qui se mutile ainsi, celui par exemple qui se fait enlever une de ses dents pour la vendre à un autre, ou celui qui se soumet à la castration pour devenir un chanteur plus recherché, celui-là, en disposant de sa personne comme d’un instrument, commet un attentat envers la dignité humaine.

Questions casuistiques.

À l’exposition que je viens de résumer Kant ajoute quelques questions casuistiques. Comme il ne fait que les poser sans les résoudre, et qu’elles sont d’ailleurs fort clairement rédigées, je me bornerai à les transcrire : « Est-ce un suicide que de se dévouer, comme Curtius, à une mort certaine pour sauver sa patrie ? — Ou le martyre volontaire, qui consiste à se sacrifier au salut de l’humanité en général, doit-il être pris aussi, comme l’action précédente, pour un acte héroïque ? »

« Est-il permis de prévenir par le suicide une injuste condamnation à mort ? — Même dans le cas où le souverain le permettrait, comme fit Néron pour Sénèque ? »

« Peut-on faire un crime à un grand monarque mort depuis peu, d’avoir porté sur lui un poison très-subtil, sans doute afin de n’être pas obligé, s’il venait à être fait prisonnier dans la guerre qu’il dirigeait en personne, d’accepter pour sa rançon des conditions onéreuses à son pays ? Car on peut lui supposer cette intention, et il n’est pas nécessaire de ne voir là-dessous que de l’orgueil. »

« Un homme qui a été mordu par un chien enragé, sentant déjà en lui l’hydrophobie et sachant qu’il n’y a pas d’exemple que quelqu’un en soit revenu, s’est tué, afin, comme il le dit


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