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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


un vil instrument de jouissance, et devient ainsi un objet de dégoût. Quant au plaisir qui résulte de l’union des sexes, comme la fin naturelle de ce plaisir est la propagation, on ne doit pas au moins agir contre cette fin. Mais est-il permis de le rechercher, même dans le mariage, sans avoir égard au but de la nature ? C’est là une question plus difficile, que Kant rejette dans la casuistique 1[1].

« Est-il permis à un mari d’entretenir un commerce charnel avec sa femme lorsqu’elle est enceinte, ou lorsque, par l’effet de l’âge ou de la maladie, elle est devenue stérile, etc. ? Cela n’est-il pas contraire à la fin de la nature et par conséquent au devoir envers soi-même ? Ou bien n’y a-t-il pas ici une loi de la raison pratique qui, dans la collision de ses principes, permet quelque chose d’illicite en soi, afin d’empêcher, par cette sorte d’indulgence, un mal plus grand encore ? — Sur quoi se fonde-t-on pour taxer de rigorisme ceux qui renferment ici l’obligation dans d’étroites limites, et pour accorder une certaine latitude aux appétits animaux, au risque de manquer à la loi de la raison ? »


De l’intempérance

C’est encore un vice honteux que celui qui consiste à faire un usage immodéré de la boisson ou de la nourriture 2[2]. Il ne suffit pas d’alléguer contre lui le mal qu’il nous cause, les douleurs corporelles ou les maladies qu’il nous attire : on ne ferait ainsi que le repousser au nom du principe du bien-être, et l’on ne poserait qu’une règle de prudence. Mais ce n’est pas seulement la prudence, c’est le devoir qui le con damne. L’homme qui s’y livre manque en effet à ce qu’il se doit, car il fait de lui-même une brute. Cet abrutissement a lieu de deux manières : par l’ivrognerie ou par la gourmandise. L’état d’ivresse séduit l’homme en lui apportant, pour un moment, avec l’oubli de ses soucis, un rêve de bon heur et des forces imaginaires ; mais malheureusement elle amène à sa suite l’abattement et la faiblesse, et elle se tourne aisément en habitude. C’est cette funeste habitude qu’on appelle l’ivrognerie. La gourmandise est un vice encore plus honteux : l’ivresse, du moins, met en jeu l’imagination et

  1. 1 P.82.
  2. 2 § 8, p. 84.