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ANALYSE CRITIQUE


en cause, et tout ne rentre-t-il pas en définitive dans la sphère de la prudence ? C’est la question que pose Kant lui-même dans la partie casuistique de son article sur l’avarice 1[1] : « Comme la cupidité, dit-il, ou le désir insatiable d’acquérir en vue de dépenser, et l’avarice, ou la crainte de la dépense, ne paraissent condamnables que parce qu’elles conduisent à l’indigence, la première à une indigence imprévue, la seconde à une indigence volontaire (puisqu’elle suppose la résolution de vivre misérablement), la question est de savoir si l’une comme l’autre ne méritent pas plutôt le titre d’imprudence que celui de vice, et si par conséquent elles ne sont pas tout à fait en dehors de la sphère des devoirs envers soi-même. » On sait déjà comment Kant résout cette question, puisqu’on vient de le voir ranger l’avarice parmi les vices : « Elle n’est pas seulement, dit-il, une économie mal entendue ; elle est une soumission servile de soi-même aux biens de la fortune, qui ne nous permet plus d’en rester le maître et qui estime transgression du devoir envers soi-même. Elle est opposée à la libéralité des sentiments, c’est-à-dire au principe de l’indépendance à l’égard de toute autre chose que la loi morale, et elle est ainsi une fraude dont l’homme se rend coupable envers lui-même. » Mais Kant, en terminant, ramène les difficultés qu’on peut élever à ce sujet : « Qu’est-ce qu’une loi que le législateur intérieur ne sait où appliquer ? Dois-je diminuer mes dépenses de table, ou mes dépenses extérieures ? dans la vieillesse ou dans la jeunesse ? Ou l’économie est-elle en général une vertu ? »

De la fausse humilité.

L’homme n’a pas seulement cette valeur vulgaire qu’il partage avec les autres animaux, ou même celle que lui donne la faculté qu’il possède de poursuivre de lui-même certaines fins et de se rendre ainsi un instrument utile aux autres ; il a en outre une valeur absolue et au-dessus de tout prix. Cette valeur, qu’il tire de sa raison morale et qui l’élève au rang de personne, ne souffre pas qu’on le traite ou qu’il se traite lui-même comme un pur instrument : il n’est plus seulement un moyen pour des fins étrangères, il est lui-même une fin.

  1. 1 P. 95.