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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


passé par là. C’est ainsi qu’après avoir placé dans cette force morale qu’on appelle la vertu notre plus grand et même notre unique titre de gloire, il nous rappelle, comme pour tempérer notre orgueil par le sentiment de notre imperfection, qu’il y a encore quelque chose au-dessus de la vertu, à savoir la sainteté, cet idéal de la vertu même, vers lequel nous devons tendre, mais où nous ne saurions jamais nous flatter d’avoir atteint. C’est ainsi encore qu’au lieu de promettre à l’homme cette paix inaltérable dont le stoïcisme leurre son sage, il lui montre la vertu toujours forcée de combattre à la sueur de son front, mais en même temps toujours progressive 1[1]. Mais je ne veux pas refaire l’analyse que j’ai déjà présentée au lecteur ; qu’il me suffise de lui signaler dans ce tableau de la vertu la double influence de la doctrine stoïcienne et de la philosophie chrétienne, se corrigeant ou se tempérant l’une l’autre et formant ainsi un tout harmonieux et solide. Il est facile de suivre cette double influence dans toutes les parties de l’éthique de Kant ; j’aurai moi-même plus d’une fois encore l’occasion d’en indiquer la trace et d’en montrer l’heureux effet.


J’examinerai plus loin si en ramenant tous nos devoirs de vertu à deux branches principales, c’est-à-dire à nos devoirs envers nous-mêmes et à nos devoirs envers nos semblables, la morale de Kant ne laisse rien à désirer ; j’arrive tout de suite à la première de ces deux branches. Elle offre d’abord une innovation qui mérite d’être relevée 2[2]. On divise ordinairement la morale individuelle en deux parties, dont l’une a rapport au corps, et l’autre à l’âme ; mais cette division a, selon Kant, le tort de reposer sur une distinction métaphysique qui, admise par certaines écoles, est contestée par d’autres. Or il veut placer la morale au-dessus de toutes les controverses métaphysiques et particulièrement de celles aux quelles peut donner lieu la question de la nature de l’âme et de son indépendance, comme substance, par rapport au

  1. 1 Cf. la Critique de la raison pratique, et mon Examen de cet ouvrage.
  2. 2 Plus haut, p. xix.