Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/227

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entendit des hommes marcher dans le bois. Les deux amis se tinrent bien tranquilles, car ils savaient que le soldat anglais a une fâcheuse propension à tirer sur tout ce qui remue ou donne de la voix. Puis Learoyd apparut, sa tunique éraflée par une balle en travers de la poitrine et l’air assez honteux de lui-même. Il se jeta à terre sur les aiguilles de pin, respirant par grognements.

— Un de ces damnés jardiniers des Pickles, dit-il, tout en tâtant la déchirure. Il tire vers le flanc droit, alors qu’il sait que je suis là. Si je savais qui, je lui arracherais la peau. Regarde ma tunique !

— Voilà bien comme on peut se fier à un tireur d’élite. Exercez-le à faire mouche au repos à sept cents, et ensuite il vous lâchera son coup sur tout ce qu’il voit ou entend jusqu’à quinze cents. Tu as bien fait de laisser là cette bande de tireurs à la manque, Jock. Reste ici.

— Ces fichus lascars-là ont tiré après le vent dans les feuillages, dit Ortheris en ricanant. Moi, tantôt, je vais vous montrer un peu comme on tire.

Ils se vautrèrent sur les aiguilles de pin, immobiles, et le soleil les rôtissait. Les Mixed Pickles cessèrent le feu, s’en retournèrent au camp, et laissèrent le bois aux quelques singes qu’ils avaient effarouchés. Le cours d’eau éleva sa voix dans le silence, et conta fleurette aux rochers. De temps à autre le tonnerre sourd d’un coup de mine à cinq kilomètres de là témoignait des difficultés que rencontraient les Aurangabadis à construire leur route. Attentifs au bruit, les trois hommes souriaient et se taisaient,