Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/49

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du feu et faisons à manger. Nous sommes fatigués.

Ils regardèrent interrogativement vers la litière. À l’intérieur était couché le commissaire-délégué du district de Kot-Kumharsen qui se mourait de fièvre. Lorsqu’il était tombé malade au pied de leurs montagnes inhospitalières, ces six guerriers d’une tribu frontière qu’il avait réussi à mettre sur les voies d’une fidélité relative l’avaient transporté à l’autre bout du pays. Et Tallantire, son adjoint, les accompagnait à cheval, le cœur aussi lourd que les yeux appesantis par le chagrin et le manque de sommeil. Depuis trois ans il servait sous les ordres du malade, et il avait appris à l’aimer comme apprennent à s’aimer ou à se haïr des hommes associés en une tâche des plus dures. Sautant à bas de son cheval il ouvrit les rideaux de la litière et jeta un coup d’œil à l’intérieur.

— Orde… Orde, mon vieux, m’entendez-vous ? Ce n’est pas de chance, il nous faut attendre que le fleuve baisse.

— J’entends, répliqua une voix faible et altérée. Attendre que le fleuve baisse. Je croyais que nous pourrions arriver au camp avant l’aube. Polly est prévenue. Elle va venir à ma rencontre.

Un des hommes qui examinait l’autre bord distingua une faible lueur clignotante. Il glissa tout bas à Tallantire :

— Voilà là-bas les feux de ses hommes et sa femme. Au matin ils la feront traverser, car ils ont de meilleurs bateaux que nous. Vivra-t-il jusque-là ?