Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/78

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et par ses contes les avait fait tomber dans un piège. C’était assurément un outrage qu’un Bengali, fils de Bengali, pût prétendre à administrer la frontière, mais ce fait n’augurait pas, comme l’avait prétendu le mullah aveugle, une ère de rapt et de licence générale ; et l’inexplicable folie des Anglais n’avait pas nui le moins du monde à leur pouvoir de garder leurs marches. Au contraire, juste au moment où ses provisions de vivres étaient au plus bas, la tribu bafouée et battue à plates coutures allait être bloquée de tout commerce avec l’Hindoustan, et cela durerait jusqu’au moment où les Khusru Kheyl enverraient des otages pour garantir leur bonne conduite, et paieraient une compensation pour le dégât commis, avec la rançon du sang au taux de trente-six livres anglaises par tête de chaque villageois qu’ils pourraient avoir tué.

— Et vous savez que ces chiens de la plaine feront serment que nous en avons massacré des vingtaines. Est-ce le mullah qui paiera les amendes ou nous faudra-t-il vendre nos fusils ? (Un grognement sourd courut autour des feux.) Or, vu que tout ceci est l’œuvre du mullah, et que nous n’avons rien gagné par là que des promesses de paradis, je me suis avisé que nous sommes les seuls des Khusru Keyl à manquer d’une chapelle où aller prier. Nous ne sommes plus en force, et n’oserons plus par conséquent nous aventurer dans la marche des Madar Kheyl, comme c’était notre coutume, pour nous agenouiller sur la tombe de Pir Sadji. Les Madar vont nous tomber dessus, et à bon droit. Mais notre mullah est un