Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/79

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saint homme. Il a aidé une quarantaine d’entre nous à aller au paradis cette nuit. Qu’il rejoigne donc ses ouailles, et nous construirons sur son corps une coupole en tuiles bleues de Moultan, et nous ferons brûler des lampes à ses pieds tous les vendredis soirs. Lui sera un saint marabout, et nous aurons un sanctuaire où nos femmes iront prier pour obtenir de nouveaux rejetons afin de remplir les vides de notre rôle de bataille. Qu’en pensez-vous ?

Un ricanement sinistre accueillit cette proposition, et le léger fuip, fuip des coutelas dégaînés suivit le ricanement. C’était là une idée excellente et elle répondait à un vœu depuis longtemps formé par la tribu. Le mullah se leva d’un bond, roulant des yeux blancs devant la mort dégaînée qu’il ne pouvait voir et appelant sur la tribu les malédictions de Dieu et de Mahomet. Alors commença autour et entre les feux une partie de collin-maillard que Khuruk Shah, le poète de la tribu, a chantée en vers qui ne périront pas.

La pointe d’un coutelas le piqua légèrement sous l’aisselle. Il bondit de côté en hurlant, mais ce fut pour sentir le froid d’une lame lui effleurer la nuque, ou le canon d’un fusil lui frôler la barbe. Il appela au secours ses partisans, mais la plupart d’entre eux gisaient morts dans la plaine, car Khoda Dad Khan avait pris soin de pourvoir à leur décès. Les hommes lui vantaient les splendeurs du marabout qu’on lui construirait, et les petits enfants battaient des mains en criant : « Cours, mullah, cours ! Il y a un homme derrière toi ! » À la fin, comme le jeu languis-