Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/165

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Jouer un rôle dans les cérémonies de la cour, être au service des plus hauts personnages, offrait à un jeune homme de mon âge un intérêt différent de celui de la simple curiosité. D’autre part je regardais Alexandre II comme une espèce de héros : c’était un homme qui n’attachait pas d’importance aux cérémonies de la cour, mais qui, à cette époque, commençait sa journée de travail à six heures du matin et avait engagé une lutte énergique contre un puissant parti réactionnaire afin de faire une série de réformes dont l’abolition du servage n’était que la première.

Mais peu à peu, lorsque je pus mieux voir le côté théâtral de la vie de cour, lorsque j’eus pu apercevoir ce qui se passait dans les coulisses, je compris non seulement la futilité de ce spectacle et des choses qu’il avait pour but de voiler, mais je compris aussi que ces vétilles n’absorbaient si complètement la cour que pour l’empêcher de penser à des choses plus sérieuses. Pour la comédie on perdait souvent de vue les réalités. Et plus tard à mes yeux s’évanouit lentement l’auréole dont mon imagination avait entouré Alexandre II. Aussi, si j’avais même caressé au début quelques illusions sur la possibilité de jouer un rôle actif dans les milieux de la Cour, à la fin de l’année j’aurais renoncé à ce rêve.

Il y avait un grand lever au palais tous les jours de grande fête, ainsi qu’à l’anniversaire de la naissance, à la fête patronymique de l’empereur et de l’impératrice, à l’anniversaire du couronnement, et en d’autres occasions analogues. Des milliers de généraux, et les hauts fonctionnaires des administrations civiles étaient rangés en lignes dans les immenses salles du palais, et s’inclinaient au passage de l’empereur et de sa famille lorsqu’ils se rendaient solennellement à l’église. Tous les membres de la famille impériale venaient ces jours-là au palais. Ils se réunissaient dans un salon et bavardaient gaiement jusqu’au moment où ils devaient mettre le masque de la solennité. Alors le cortège se formait. L’empereur,