Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/166

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donnant la main à l’impératrice, ouvrait la marche. Il était suivi de son page de chambre, du général aide de camp, de l’aide de camp de service et du ministre de la maison impériale. Au service de l’impératrice ou plutôt de son immense traîne étaient attachés ses deux pages de chambre, qui devaient porter la traîne aux tournants, puis la déployer dans toute sa beauté. L’héritier présomptif, qui était un jeune homme de dix-huit ans, et les autres grands-ducs et grandes-duchesses venaient ensuite, dans l’ordre de leur droit de succession au trône — chacune des grandes-duchesses suivie de son page de chambre. Puis venaient en un long cortège les dames de la suite, jeunes et vieilles, toutes portant le prétendu costume russe — c’est-à-dire une robe de bal qu’on suppose devoir ressembler au costume porté par les femmes de la vieille Russie.

Comme le cortège défilait, je pouvais observer comment chacun des plus hauts fonctionnaires civils et militaires essayait, avant de s’incliner, d’attirer sur soi un regard de l’empereur, et si, à sa révérence, le tsar répondait par un sourire, ou par un imperceptible signe de tête, ou même parfois par un mot ou deux ; alors il regardait ses voisins, plein d’orgueil et attendait leurs félicitations.

Après l’église, le cortège revenait dans le même ordre, et ensuite chacun retournait en hâte à ses propres occupations. A part un petit nombre de dévots et quelques jeunes dames, pas une sur dix des personnes présentes à ces levers n’y voyait autre chose qu’une ennuyante corvée.

Deux ou trois fois durant l’hiver on donnait au palais de grands bals, auxquels des milliers de gens étaient invités. Après que l’empereur avait ouvert la danse par une polonaise, chacun avait pleine liberté pour s’amuser comme il voulait. Dans ces immenses salles brillamment éclairaient il était facile aux jeunes filles de se soustraire aux yeux vigilants de leurs parents ou de leurs tantes, et elles jouissaient complètement de la joie de la danse