Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/322

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— « Les livres, dit-il, ne sont pas précisément notre genre de commerce ; nous nous occupons surtout de soieries de prix. Si je payais mes hommes au poids du colis, en appliquant notre tarif de soieries, je serais forcé de vous demander un prix vraiment exorbitant. Et puis, à dire vrai, je n’aime pas beaucoup m’occuper de livres. S’il arrivait la moindre des choses, « ils » en feraient une affaire politique et il en coûterait à la Compagnie Universelle des os et chiffons une somme d’argent effrayante pour se tirer d’affaire. »

J’avais probablement l’air bien triste, car l’élégant jeune homme qui représentait la Compagnie Universelle des os et chiffons ajouta aussitôt : « Tranquillisez-vous. Il (le commissionnaire de l’hôtel) trouvera un autre moyen de vous arranger. »

— « Ah oui ; il y a vingt moyens d’arranger une pareille bagatelle, pour obliger monsieur », remarqua gaiement le commissionnaire, en me quittant.

Au bout d’une heure il revint avec un autre jeune homme. Celui-ci prit mon paquet, le mit à côté de la porte et me dit : « C’est bien. Si vous partez demain, vous trouverez vos livres à telle station russe » et il m’expliqua comment se ferait la chose.

— « Combien cela coûtera-t-il ? » demandai-je.

— « Combien êtes-vous disposé à payer ? » répliqua-t-il.

Je vidai ma bourse sur la table, en disant : « Voilà ce qu’il me faut pour mon voyage. Le reste est pour vous. Je voyagerai en troisième classe. »

— « Comment ! comment ! s’écrièrent mes deux hommes d’une seule voix. Que dites-vous là, monsieur ? Un gentilhomme comme vous, voyager en troisième classe ? Jamais de la vie ? Non, non, non, cela n’est pas possible. Huit roubles nous suffiront, plus un rouble pour le commissionnaire, si vous voulez bien — nous nous en rapportons à vous. Nous ne sommes pas des voleur de grand chemin, mais d’honnêtes commerçants. » Et ils refusèrent carrément d’accepter davantage.