Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/370

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une autre personne. Fixant alors le procureur dans les yeux, je répondis : « Non, monsieur, il n’a jamais dit cela, et vous savez parfaitement bien que ce que vous dites est faux. »

Il devint furieux, ou feignit de l’être. « Eh bien alors, dit-il, si vous voulez attendre ici un moment, je vous apporterai la déclaration écrite de Polakov. On l’interroge dans la pièce voisine. »

« Je suis prêt à attendre tant que vous voudrez. »

Je m’assis sur un sofa et je me mis à fumer cigarettes sur cigarettes. Mais la déclaration ne vint pas ; elle n’est jamais venue.

Il va sans dire que cette déclaration n’existait pas. Je rencontrai Polakov en 1878, à Genève, d’où nous fîmes une délicieuse excursion au glacier de l’Aletsch. Je n’ai pas besoin de dire que ses réponses avaient été conformes à ce que je supposais : il avait nié avoir connaissance de la lettre ou de la personne désignée par les initiales V. E. Nous avions l’habitude de nous prêter mutuellement des quantités de livres et la lettre avait été trouvée dans un livre, tandis que l’enveloppe avait été découverte dans la poche d’un vieux paletot. On le garda quelques semaines sous les verrous, puis on le relâcha, sur l’intervention de ses amis de l’Université. On n’apprit jamais qui était V. E., et mes papiers furent repris au moment nécessaire.

Dans la suite, chaque fois que je revoyais le procureur, je l’agaçais de ma question : « Eh bien, et cette déclaration de Poliakov ? »

Je ne fus pas ramené dans ma cellule, mais une heure plus tard, le procureur entra accompagné d’un officier de gendarmerie. « Votre interrogatoire, me dit-il, est maintenant terminé ; vous allez être conduit dans un autre lieu. »

Une voiture à quatre roues stationnait devant la porte. On m’invita à y monter et un robuste officier de gendarmerie, Circassien d’origine, s’assit à mes côtés. Je lui