Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/89

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Entre garçons les coups et l’amitié semblaient toujours marcher de pair.

Je m’étais déjà mis à faire du journalisme. Dans ma douzième année je commençai à éditer un journal quotidien. On n’avait pas de papier à discrétion chez nous et mon journal était d’un format lilliputien. Comme la guerre de Crimée n’avait pas encore éclaté, et que le seul journal que mon père reçût était la Gazette de la Police de Moscou, je n’avais pas un grand choix de modèles. Aussi ma Gazette à moi consistait simplement en courts entrefilets annonçant les nouvelles du jour : « Promenade dans les bois. N.P. Smirnov tua deux grives », ou autres choses semblables.

Cela cessa bientôt de me satisfaire, et en 1855 je lançai une revue mensuelle qui contenait les vers d’Alexandre, mes nouvelles, un certain nombre de variétés. L’existence matérielle de cette revue était complètement assurée, car elle avait suffisamment d’abonnés, à savoir l’éditeur lui-même et Smirnov, qui paya régulièrement son abonnement d’un certain nombre de feuilles de papier, même après qu’il eut quitté la maison. En retour je copiais soigneusement un second exemplaire pour mon fidèle ami.

Lorsque Smirnov nous quitta et qu’un étudiant en médecine N. M. Pavlov prit sa place, celui-ci m’assista dans mes fonctions d’éditeur. Il obtint pour la revue un poème d’un de ses amis, et — chose plus importante encore — la leçon d’ouverture du cours de géographie physique de l’un des professeurs de Moscou. Naturellement c’était de l’inédit : une reproduction n’aurait jamais été admise dans une publication si sérieuse.

Alexandre, cela va sans dire, prenait un vif intérêt à la revue, et l’écho de sa renommée vint jusqu’au corps des cadets. Quelques jeunes écrivains en quête de gloire entreprirent de lancer une publication rivale. L’affaire était grave : pour les poèmes et les nouvelles nous pouvions tenir la partie ; mais ils avaient un « critique » et un critique qui écrit, à propos des personnages d’une