Page:Krysinska - Intermèdes, 1903.djvu/12

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Une femme, Mlle  de Gournay, fille adoptive de Montaigne rompt des lances avec le puritain.

Veut-on mieux défendre de poétiser en commandant de rimer ? Car comment serait-il possible que la poésie volât au ciel, son but, avec telles rognures d’ailes et qui plus est écloppement et brisement ?… »

Et plus loin :

« Après tout, si nous observons ces belles instructions d’aujourd’hui sur les heurts de voyelles, nous ne dirons plus peu à peu, çà et là, mari et femme, toi et elle, etc… etc…, si nous ne disons qui est-ce, il ne faut plus dire déesse ou liesse etc.[1]. »

Sainte-Beuve s’associe de la sorte au plaidoyer :

« S’il est en effet des concours de voyelles qui choquent et qu’il importait d’interdire, il en est aussi qui plaisent et qu’il convenait d’épargner. Les anciens trouvaient une singulière mollesse dans les noms propres de Chloë, Danaë, Laïs, Leucothoë, quoi de plus doux à prononcer que notre verbe impersonnel il y a ? Les élisions, d’ailleurs, ne font-elles pas souvent un plus mauvais effet que les hiatus ? Et pourtant, on les tolère. La Fontaine et Molière se sont donc, avec raison, permis d’oublier, par moments, la règle trop exclusive de Malherbe[2]. »

Ne pourrait-on ajouter que toutes les fois qu’un artiste de talent se sera dispensé d’une règle avec un bonheur évident, cette exception pourra être classée par les théoriciens au nombre de celles qui figurent dans les traités (d’harmonie par exemple) ou dans les grammaires et qui font partie de la

  1. Mlle  de Gournay, De la façon d'écrire de MM.  Du Perron et Bertaut.
  2. Sainte-Beuve, La Poésie au XVIe siècle.