Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/134

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l’aboutissant ? Quel chaudron de sorcière a cuit et recuit les éléments dont il est formé ? Sous quel rayon de la triple Hécate se sont assemblées les bêtes maudites dont il représente le conglomérat ? La ténacité dans la destruction est une de ses caractéristiques ; une autre, la faculté d’exécrer de près et de combiner des « vinginces », comme il dit ; car il subsiste en lui, et c’est le seul relief d’humanité, un léger accent provincial. Joseph Reinach et lui se sont partagé, chez nous, la besogne ; tandis que le premier s’attaquait à la cité, le second faisait son affaire de la famille, et mettait à réaliser le divorce un acharnement de termite fouisseur. Naquet a le goût du délabrement, de la corruption et de la mort. Il hante, en reniflant, les charniers sociaux. Cet ancien chimiste aime de passion ce qui se décompose, ce qui se dégrade, ce qui se putréfie, les larmes familiales, le deuil national, l’émeute, la guerre civile, tous les fléaux. Puis, quand le danger s’approche de lui, spectateur ricanant, jouisseur haletant, vous le voyez qui se sauve de biais, sur ses longues pattes maigres, portant la double boule de son abdomen et de sa tête chevelue. Sa commère, alors, c’est la peur panique, comme l’était tout à l’heure la cruauté.

Ce monstre a la libido du néant et il l’assouvit d’une manière spéciale, à coup de textes de lois. On peut dire que la République et lui étaient faits pour se reconnaître et pour s’étreindre, dans l’ombre propice du drapeau noir.

L’amitié de Lockroy pour Naquet, du temps que j’avais de l’affection pour Lockroy, m’a souvent fait froid dans le dos. Car on surprenait chez Naquet, à l’endroit de son camarade et complice, de véritables regards d’assassin. Chose singulière, Lockroy, par le contact, avait pris le rire adéquat à la bosse de Naquet ; au lieu que Naquet, quand il rit, se contente d’écarquiller silencieusement, dans sa barbe, une grande bouche de dromadaire altéré. Quelle a pu être depuis tant d’années, car il est vieux, la vie mentale, la vie secrète, mais vraie, de cet oriental, fléau des cités, au milieu de notre civilisation ? Quelles crises d’impatience, quelles acres sueurs en constatant que les choses ne marchaient pas aussi vite qu’il l’aurait voulu, qu’il partirait peut-être avant que cette chienne de race, la nôtre, fût définitivement crevée sous les coups insidieux de sa race à lui ! On trouve l’aveu de cette méditation morose dans une page bien connue de Naquet sur la