Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/133

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Collaborateur de Zola pour la fabrication des gros mélos, au purin et à l’alcool, qui constituent le théâtre naturaliste, William Busnach, à la ville, jouait volontiers les plaisantins. Physiquement il ressemblait à un polichinelle bouffi et galeux. Une de ses meilleures facéties consistait à détacher son râtelier et à le poser à côté de son assiette, à table, afin d’écœurer sa voisine.

Quand on l’invitait à déjeuner, il acceptait, puis se décommandait, puis réacceptait, puis se redécommandait, par une série de courts billets qui se succédaient, à six heures d’intervalle, cela quelquefois pendant une semaine. Il renvoyait sa bonne tous les huit jours, et vivait dans un galetas putride, encombré d’oiseaux, de chiens, de chats, au milieu d’une odeur de renfermé, d’excréments et de fromage moisi. Son esprit, très goûté dans les milieux juifs et républicains, reposait sur une multitude de coq-à-l’âne et de vieilles calembredaines, utilisées déjà dans vingt vaudevilles, et qu’il vous resservait en se tordant de rire et en crachotant tout autour de lui. Où il était impayable, c’était quand, redevenu sérieux, il reprenait gravement les théories et axiomes du maître de Médan : la nécessité des tranches de vie, le relèvement des masses par le spectacle de leur déchéance. Or, qui eût cru que dans ce dégoûtant fantoche, dans cette larve de coulisses et de loges d’actrices, il y eût un messianique furibond ? Cela était pourtant. À dater de la France Juive, il voua, en haine de Drumont, à quiconque portait le nom de Daudet, une rancune farouche, et j’ai pu ressentir, longtemps après, les effets de son venin et de sa perfidie. Bien qu’il eût, sans doute, retiré son dentier pour me mordre, ses gencives étaient encore empoisonnées.

Néanmoins, ces trois champignons du ghetto de Paris pâlissaient à côté d’Alfred Naquet, bossu comme dans les contes arabes, aux yeux luisants d’almée sadique, et qui tient de l’araignée et du crabe. Vous le voyez, dans un cauchemar, qui descend de guingois du plafond, en contournant les rideaux du lit, et va s’abreuver au seau de toilette. La destinée m’a fait, pendant ma jeunesse, coudoyer, sinon fréquenter, avec une horreur constante, cet être informe et velu, dont le physique n’est certainement pas autre chose que la projection du moral. De quelles conjonctions héréditaires du sabbat Alfred Naquet est-il